VITILIGO


Chloé : « j’aime bien avoir plusieurs expressions pour donner de l’authenticité à ma peau, comme « j’ai éternué dans du café « ou « mes origines se sont mal mélangées ». Je relativise comme ça car franchement… j’ai eu du mal .. changer de visage c’est traumatisant.. mais ! J’ai réussi à en faire un travail ! Et grâce à mes différentes pigmentations je peux possiblement réaliser des rêves de petites filles.. mais bon .. il y a eu un « avant » qui m’a malheureusement dévasté mentalement ce qui m’a donné cette particularité… y a des gens qui perdent ou gagnent du poids, des personnes qui font du psoriasis, eczéma ou même perdent leurs cheveux ! Dans tous les cas on est jamais satisfait… moi j’ai eu la chance d’en faire une force … mon dernier conseil, faite attention à votre mental, vous êtes seul maître de votre vie .. il ne faut pas la gâcher vous devez vivre vos rêves et vous sortir les doigts du coup ! Ne restez pas seul ! »

Guillaume : “Mon vitiligo est un écosystème vivant où l’ombre et la lumière dialoguent, s’affrontent, se répondent, laissant sur ma peau le traces visibles d’une histoire intime. Il y a d’abord une bataille biologique : mon système immunitaire s’attaque à mes mélanocytes, ces petites cellules qui produisent la mélanine, censées protéger l’épiderme du soleil.
C’est un peu comme si mon corps perçait sa propre couche d’ozone. Là où les pigments disparaissent, la peau devient plus fine, sèche, craquelée... laissant parfois la sensation d’une terre brûlée. Paradoxalement, ce processus se déclenche souvent là où la peau subit des contraintes : frottements, coups de soleil répétés, brûlures ou cicatrices ... autant de zones inflamméés où le système de défense sur-réagit, éradiquant les mélanocytes comme une réponse disproportionnée.
Avec le temps, on développe de drôles d’habitudes. Tel un vampire des temps modernes, je ne sors plus sans crème solaire, car sinon c’est mitaines, gants, chapeaux, cols montants, manches longues... et une allure de sociopathe à assumer.
Ces réflexes s’ancrent à chaque oubli, puni par la morsure douloureuse du soleil, jusqu’à devenir instinctifs.
Comme un tournesol inversé, je finis par tourner le dos à la lumière pour protéger les zones les plus vulnérables.
Même les trajets en voiture deviennent une danse stratégique entre mes mains, le volant et la course du soleil.
Pourtant, là où la brûlure efface les pigments, une exposition modérée à la lumière permet parfois la réapparition de petits îlots de mélanine. Comme des foyers d’insurrection, ils reprennent du terrain sur les zones conquises et semblent chuchoter des messages au regard attentif. L’été dernier, un petit coeur parfaitement découpé est apparu sur ma main droite, aujourd’hui presque effacé. Sur l’autre main, un “V” se dessine, et j’y vois un clin d’oeil à “Victoire”.
Entre mes doigts, un tatouage d’infini s’ancre comme un rappel silencieux : cette histoire est un cycle, un mouvement permanent entre perte et renaissance.
Parfois, je souris devant ces formes étranges qui apparaissent, comme un mur vandalisé par un graffeur espiègle : un canard de bain improbable, un doigt d’honneur involontaire, la Tri-force de Zelda ... et même un symbole que tous les ados dessinent partout, que la décence m’empêche de nommer, mais qui continue de s’allonger sur mon tibia.
Je me demande parfois si mon corps ne tente pas de communiquer en emojis. Comme les formes qu’on hallucine dans les nuages ou dans les taches du test de Rorscharch, mon cerveau ne peut s’empêcher de chercher des codes, un langage caché.
Mais d’autres jours, l’humour laisse place à l’inquiétude. Je vois des visages étranges, des zones dépigmenttées qui progressent brutalement, des no man’s land où toute résistance semble étouffée, et parfois même la découverte inattendue d’une terra incognita dans le reflet d’un miroir ou dans le regard d’un proche sur l’une de mes faces cachées.
Alors la peur s’installe, discrète mais tenace : celle que le vitiligo s’étende encore, qu’il atteigne mon visage, mes cheveux, ma pilosité ... et qu’il fasse de moi un ying-yang vivant, impossible à cacher, impossible à ignorer .”


John : “Mon vitiligo a commencé à apparaître à la fin de l'année 2019, vers le mois d'octobre je dirai.
Avec le recul, je suis convaincu que cette décoloration de la peau a débuté au moment où j'ai commencé à me détacher de mon travail, à trouver qu'il perdait de son sens.
A l'époque, j'étais éducateur dans une institution du médico-social.
L'ambiance dans l'institution n'était plus la même que celle que j'avais connue lors de mes premières années d’exercice, la créativité qui était alors reine lorsque je suis arrivée était en berne, et les départs successifs de professionnels piliers qui étaient particulièrement soutenant et investis dans le travail s’est faite ressentir.
Début d'année 2020 : en janvier et février, je continue de "m'enfoncer".
Je perds goût dans le travail jour après jour.
Mars 2020 : arrive le confinement.
Je vis l’annonce officielle du confinement comme une forme de soulagement. Je comprends tout de suite, en me projetant, que je vais pouvoir souffler, me reposer, retrouver une certaine vie de famille après laquelle je courais et que j’avais le sentiment de ne plus avoir du tout. Je sais aussi que je vais pouvoir me recentrer sur mes besoins et centres d’intérêts (cinéma, musique). Je fais de longues siestes. Le fait de pouvoir me consacrer de nouveau à mes passions me regonfle.
Le travail continue, mais à distance. Il n’est plus aussi pesant.
Je fais complètement abstraction (trop?) de la crise sanitaire, me focalisant sur les avantages directs que me procurent cette situation.
C’est durant cette période que le vitiligo s’est énormément développé, jour après jour.
Que voulait-il dire, réellement, ce vitiligo ? Que je m’éloignais encore un peu plus de mon travail, probablement, mais je ne le savais pas encore. Je me laisse pousser la barbe, et je remarque que la trace du vitiligo laisse apparaître des poils blancs.
Retour au travail vers le mois de Mai 2020 : je ne le vis pas très bien, mais le contexte sanitaire rend les conditions de travail suffisamment exceptionnelles pour que je ne sente pas l’ennui poindre. Je suis dans l’accompagnement direct, sur le terrain, mais je me sens de plus en plus détaché, de plus en plus à côté de la plaque. Malgré tout, je refuse de l’admettre.
L’été 2020 arrive. Je suis au bout du rouleau. Phagocyté, épuisé.
Je pense me reposer mais je me mets subitement à faire des insomnies vers la fin du mois de Juillet. Vers la mi-août, ayant très peu dormi, je comprends que je vais reprendre le travail comme si je n’avais pas eu de vacances.
Je ne me sens pas du tout reposé.
Je crains la reprise du travail en septembre et malgré tout, je me dis qu’il me faut y aller, pour rencontrer les nouveaux parents, accueillir les jeunes, se positionner sur des projets.
Une collègue me dit, dès la rentrée « ça ne va pas Jonathan, je le vois ». Lorsqu’elle me dit ça, je manque de pleurer.
Je lui explique que je ne suis pas du tout reposé. Elle me dit d’aller voir mon médecin, qui me mettrait probablement en arrêt de travail. Je refuse, car à l’époque, je me représentais très mal l’idée d’être en arrêt (j’aurai dû écouter ma collègue qui avait déjà eu cette expérience de l’arrêt de travail).
Le travail se fait, et contre toute attente, j’arrive à aller un peu de l’avant.
Je crois que le fait qu’il ne soit pas possible de sortir le soir et de rester chez soi durant cette période m’a apporté une forme de contenance, un cadre sécurisant. Période octobre 2020 jusqu’à tout début janvier 2021, « ça se maintient ».
J’ai vite déchanté.
Courant janvier - février 2021, je commence tout doucement à m’effondrer, à m’affaisser. Je suis en train de lâcher, mais mes « défenses » encore présentes font que je n’en prends pas pleinement conscience. Mon mal-être intérieur, lui, grandit.
Le vitiligo n’avait quasiment pas bougé depuis la période du confinement.
La décoloration qui malgré tout continue à se faire, à se développer, est infime, minime. La « tâche » blanche est une marque qui fait partie de mon visage. J’oublie même mon visage d’avant. Cette bizarrerie fait désormais partie intégrante de moi.
Le travail continue. Parmi les modalités de travail mises en place dans l’institution dans laquelle je travaille, les éducateurs échangent avec des psychologues sur des temps cliniques préalablement établis. Nous travaillons sur les jeunes dont nous avons la référence commune.
Lors de l’un de ces échanges, je me souviens d’une collègue psychologue qui m’a tout simplement dit « ça n’a pas l’air d’aller ». J’ai failli m’effondrer devant elle, mais j’ai tenu. Avec le recul, je pense qu’il aurait été préférable de fondre en larmes, pour pouvoir échanger avec cette collègue sur mon mal-être, mais j’étais pris malgré moi dans cette volonté de « tenir ». Je recommence à moins bien dormir, la fatigue augmente.
Je commence à consulter une psychiatre à cette époque.
Il est question de commencer un traitement médical.
Et finalement, je finis, heureusement, par être en arrêt.
Un arrêt de travail de deux mois, qui aura été comme une sorte de « confinement »
qui m’aura permis de me recentrer sur moi et me regonfler à bloc.
A la fin de mon arrêt, fin mai - début juin, cette fois-ci je reviens en forme.
L’été passe.
Mais lors de la rentrée de septembre 2021, bien qu’en meilleure forme, je ne me retrouve plus dans le travail. Là ce n’est plus à proprement parler d’épuisement dont il est question, c’est la perte de sens dans le travail.
Sans le savoir, je dirai que je faisais déjà partie des murs, j’étais un dinosaure, une épave qui n’avait plus vraiment sa place dans la nouvelle équipe de jeunes éducateurs qui venaient d’arriver. Le mal-être revient, et le vitiligo se développe de nouveau, autour de l’œil droit cette fois-ci.Là, je me sens malheureux, ça me fiche un coup.
Je me rappelle craindre énormément, à l’époque, le potentiel développement de nouvelles « tâches » ou « décolorations » qui me feraient ressembler à une sorte de dalmatien.
Avec le recul, ce que je comprends de ce vitiligo est qu’il exprimait un mal-être intérieur que je refusais d’admettre.
Nouvel arrêt de travail début 2022.
Je ne suis jamais retourné travailler à mon poste, que j’ai fini par quitter.
La tâche du vitiligo, depuis cet arrêt de travail de janvier 2022, ne s’est plus jamais élargie.


Victoria :
Le vitiligo m’a beaucoup apporté sur moi-même; avoir une particularité physique ça forge.
La perception que j’ai de moi évolue continuellement mais elle a des fondations solides grâce à lui.
Je n’ai pas eu le choix d’avancer avec.
Et j’ai décidé de le chérir, d’en faire quelque chose de beau .
Il m’a aussi beaucoup appris humainement.
Lorsqu’on est confronté aux regards des autres et qu’on accepte ça, on voit la vie et les gens de manière plus douce,
plus bienveillante.
Aujourd’hui le vitiligo est ma force, c’est ma fierté.